Jared Krichevsky s’est intéressé à la création de monstres et de personnages alors qu'il travaillait dans une librairie. Il y a découvert des livres d'art numériques dont le niveau de détail, la créativité et le professionnalisme furent une révélation pour lui. Il réalisa ainsi que la modélisation 3D lui était aussi accessible et s'y essaya à son tour.
“Je ne savais pas que cela allait tout transformer, mais c’est devenu une véritable passion. Je ne savais pas comment j’allais apprendre à utiliser ces logiciels, mais je savais que je devais essayer.”
Krichevsky a décrit ses deux années passées à Hollywood à la Gnomon School of Digital Effects comme les plus difficiles et les plus fatigantes de sa vie, mais aussi les plus gratifiantes. Après avoir achevé sa formation, il obtient un stage de formation chez Aaron Sims Creative (ASC), un studio prometteur dans la création d’effets spéciaux (VFX) et de design de Burbank, pour travailler sur le court métrage Archetype. À partir de là, il obtient un emploi à plein-temps au studio, où il a la chance de travailler sur des projets comme Stranger Things, Teenage Mutant Ninja Turtles, et Ready Player One.
L’année dernière, nous sommes allés chez Aaron Sims Creative pour étudier le processus de création du monstre Demogorgon de la Saison 1 de Stranger Things.
Dans ce second entretien, nous avons eu un aperçu plus complet du travail quotidien de Krichevsky à ASC, et comment l’impression 3D et l'imprimante 3D Form 2 de Formlabs aide le studio à favoriser la collaboration, convaincre les producteurs, et à donner vie à des modèles numériques.
Quelle est votre implication dans les projets, et comment cela a-t-il évolué au cours du temps?
Je suis généralement impliqué à l’étape conceptuelle : imaginer à quoi pourraient ressembler ces créatures et ces personnages et comment elles vont bouger, comment leur insuffler une personnalité et un caractère, quelle histoire leur offrir pour les rendre vivantes à l’écran.
J'entre en scène à la toute première étape du processus. Comme il arrive que le scénario ne soit même pas encore écrit, ou qu’il y ait très peu d’informations sur ce que sont ces choses, nous avons besoin de discuter ensemble sur ce qui doit se produire pour que ces personnages sortent tout simplement de la feuille de dessin.
Cela peut être très stimulant intellectuellement parce que nous en sommes tous au même point : je ne sais pas ce qu’ils veulent, et je ne suis pas sûr qu’ils le sachent eux-mêmes, mais nous parvenons à sortir finalement quelque chose qui plaît à tout le monde.
L’étape d'idéation et de création est la plus intéressante de tout le processus. C’est vraiment super de voir les personnages s’animer à l’écran, c’est un moment magique.
Comment se passe généralement ce processus d’idéation?
Le premier stade de l’idéation est souvent appelé “blue sky” (ciel bleu) ou “free range” (parcours libre). Vous faites à peu près ce que vous voulez. Cela commence par une conversation avec Aaron [Sims] et notre directeur artistique Steffen [Reichstadt], et les autres artistes autour. Nous nous mettons tous ensemble pour discuter de nos idées, et on s’appuie sur nos références. On fait beaucoup de recherches en amont, en naviguant sur le web et en imaginant d’où pourraient venir ces créatures. Si elles sont mythologiques, par exemple, quels en seraient les implications historiques? Comment pourrions-nous intégrer au mieux ces choses dans le monde réel?
Puis nous passons à l’étape des croquis. Parfois, c’est juste un croquis sur un coin de table ou un gribouillage sur une page de bloc, juste pour avoir un point de départ à partir duquel on pourra rebondir. Ce qui est génial, c’est que certains artistes partent dans une direction totalement différente de celle où vous pensiez aller, et à partir de laquelle on explore et on sort des idées.
Après cela, nous passons à la 3D avec ZBrush ou d’autres logiciels 3D et nous commençons à définir l’apparence. On fait alors de la sculpture numérique, et c’est beaucoup de modelage et altérations de détails pour donner vie à ces personnages. Après cela, nous passons à l’étape du rendu, où nous l’éclairons et rendons tout en 3D, tout en le composant en 2D et avec Photoshop pour commencer à le peindre. À la fin, le produit final est extrêmement réaliste.
Quels sont les plus grands défis que vous affrontez dans votre travail quotidien?
Faire plaisir à tout le monde est un défi, car chacun a une idée différente de ce qu’il veut et j’ai mes propres idées sur ce que je veux. Nous voulons être sûrs que tout le monde est satisfait de sa création à la fin du processus, et qu’à la fin le réalisateur sait exactement ce qu’il obtient à l’écran et qu’il est satisfait du processus.
Il y a sans aucun doute une différence entre l’objet physique et l’objet numérique. Lorsque vous travaillez sur un projet numérique, c’est juste un fichier que vous transférez à quelqu’un d’autre et qu’il reprend, si bien que vous ne pouvez vraiment comprendre tout le travail qui a été fait que lorsque vous récupérez le fichier et que vous l’ouvrez de nouveau.
Lorsqu’un réalisateur tient une impression 3D, cela répond à beaucoup de ses questions, beaucoup plus qu'avec une image plane. Lorsqu’il tient une impression 3D entre les mains, il commence à se former dans son esprit ce à quoi le produit final ressemblera. J’ai vu des réalisateurs avec une impression 3D entre les mains qui s’exclamaient, “ouah, c’est tout à fait cela.”
À quels autres moments pendant le processus utilisez-vous vous-même l’impression 3D?
Nous aimons beaucoup utiliser [l’impression 3D] à la dernière étape. Nous l’utilisons également comme un processus itératif, mais généralement à l’étape finale lorsque nous voyons quelque chose. J’aime bien imprimer le modèle pour pouvoir vraiment l’observer, l’examiner. Parfois, nous photographions les impressions en utilisant un éclairage de studio et nous admirons le travail à partir de là.
Nous travaillons sur les créatures en utilisant l’impression, mais la dernière version, celle du modèle final, est assurément celle qui permet de la vendre aux producteurs et aux réalisateurs. Ils peuvent la tenir entre les mains et dire “c’est notre conception et c’est à cela que cela va ressembler à l'écran”.
Il y a eu des réalisateurs qui demandaient les impressions pour les placer dans le décor et les utiliser pour boucler des scènes, car il arrive fréquemment que les créatures et les personnages soient entièrement numériques. Ils l’observent et se disent “c’est à cela que notre personnage va ressembler dans ce scénario”. Souvent, les réalisateurs emportent les impressions avec eux et tout le monde en veut un exemplaire.
“ Nous travaillons sur les créatures en utilisant l’impression 3D. La dernière impression, celle du modèle final, est assurément celle qui permet de la vendre aux producteurs et aux réalisateurs. Ils l’observent et se disent “c’est à cela que notre personnage va ressembler dans ce scénario”.„
—Jared Krichevsky
Concepteur de créature
Aaron Sims Creative utilise 3 imprimantes stéréolithographiques Form 2 pour un prototypage rapide et l’impression de modèles de démonstration, une étape clé dans le processus d’animation de ses créatures et personnages.
Pourquoi pensez-vous que ces pièces ont, d’une certaine manière, plus d’effet sur les gens que celles en numérique?
Il y a une séparation entre vous et l’écran. Parfois, lorsque vous regardez l’écran, c’est juste un ensemble de pixels, et même si vous en faites le rendu, même si vous la mettez en HDRI [imagerie à haute plage dynamique] ou dans un décor, elle ne semble pas vraie. Lorsque vous tenez l’objet imprimé entre les mains, que vous le regardez, que vous en ressentez le poids, que vous en percevez la texture du bout des doigts, la lumière vient du monde réel, et rend tout plus vrai.
Il y a quelque chose de magique qui se produit lorsque vous tenez vraiment une impression et que vous l’examinez sous tous les angles. Même les objets que vous avez déjà imprimés, vous avez envie de les reprendre et de les tenir encore et encore parce que vous vous dîtes: je l’ai fait.
Même s’il y a une séparation à l’écran, lorsque c’est dans vos mains et que c’est réel, c’est vraiment spécial.
“Lorsque vous tenez l’objet imprimé entre les mains, que vous le regardez, que vous en ressentez le poids, que vous en percevez la texture du bout des doigts, la lumière vient du monde réel, et rend tout plus vrai.”
Avec un support physique, par exemple quand vous travaillez l’argile, vous n’avez qu’une seule chance. Si vous le laissez tomber ou si vous le cassez, c’est fini. Avec l’impression 3D, c’est un objet numérique que vous pouvez imprimer et réimprimer autant que fois que vous le désirez. Si vous le cassez ou que quoi que ce soit arrive, vous pouvez toujours revenir en arrière et le réimprimer.
Il y a des choses que vous pouvez faire en 3D et qui sont impossibles à réaliser avec un support physique, en tout cas sans créer une structure ou une installation ou quelque chose comme ça. Avec la modélisation 3D et la sculpture 3D, vous pouvez pousser la création à des niveaux que vous ne pourriez atteindre avec un support physique à cause de ses limitations physiques. Avec le numérique, il n’y a plus de limites.
À quoi ressemble votre processus d’impression 3D et le déroulement des tâches?
Lorsque nous installons une imprimante, généralement nous faisons un essai à petite échelle pour nous assurer que tout fonctionne bien. Nous l’étudions, le post-traitons, et nous assurons que tout est parfait. Lorsque nous pensons tous que nous avons obtenu le niveau de détail que nous voulons, nous passons à l’échelle réelle de la taille finale demandée.
Puis nous nous mettons à la tâche pour nettoyer et poncer les supports et effectuer le post-traitement. Lorsque nous sortons une nouvelle impression, tout le monde veut la voir, tout le monde veut s'en imprégner. Nous en faisons chacun partie, et chacun en discerne la magie. Tout le monde veut venir et voir comment l'impression est sortie. Et elles sortent toujours à la perfection.
Et qu’en est-il du processus pour un assemblage d’impression, 3D plus important?
Pour une pièce vraiment très grande, il y a beaucoup de discussions.
D’abord, nous devons nous représenter ce que sera l’échelle finale. Nous imprimons une image sur papier que nous montrons au client en lui disant, “cela va être de cette taille, êtes vous sûr de vouloir ça?”
Nous prenons le modèle, réduisons la taille du fichier, et nous mettons à l’échelle finale. De cette manière, nous pouvons vraiment examiner les problèmes potentiels, ou nous faisons juste un contrôle ponctuel en nous assurant que tout va bien se passer à la fin.
À partir de là, nous passons à l’ingénierie. Si c’est une pièce vraiment très très grande, nous devons concevoir ces pièces pour qu’elles passent dans l'imprimante. À ce moment là, nous discutons beaucoup : faut-il diviser ces pièces en pièces plus petites? À quoi cela va-t-il ressembler? Comment dissimuler les joints pour être sûr qu’au collage final, ils ne seront pas trop évidents?
C’est ce qui est super avec un logiciel numérique. Si vous faites une erreur, vous pouvez toujours revenir en arrière. Et vous pouvez toujours recontrôler et revérifier. Nous concevons quelque chose et nous le divisons du mieux qu’on le peut. Maintenant que nous disposons des nouvelles fonctionnalités de ZBrush, les joints disparaissent et vous ne les distinguez même pas. C’est assez fantastique de voir comment tout s’assemble.
Lisez notre tutoriel pour apprendre comment créer des modèles plus grands que le volume d'impression de votre imprimante 3D..
Quels matériaux utilisez-vous avec votre Form 2?
Nous préférons tout imprimer en résine Clear. La raison en est que cette transparence est à la mode, tout le monde aime, et donc nous aimons faire des impressions translucides. De cette manière, nous pouvons badigeonner des couches de peinture et de couleur sur l’objet imprimé et lui conserver quand même une impression de transparence.
Personnellement, j’aime aussi imprimer en Grey Resin,mate car cela permet de voir immédiatement tous les détails.
D’après votre expérience du secteur, jusqu’où pensez-vous qu’ira l’impression 3D et qu’aimeriez-vous qu’il arrive?
Je pense que les potentialités de l’impression 3D sont infinies et ne peuvent qu’être améliorées. Lorsque les gens réaliseront vraiment toutes ses applications et implications, tout le monde voudra une imprimante sur son bureau. Je pense qu’il est inévitable que tout le monde en ait une, que les bibliothèques numériques vont se développer en ligne, et que les gens vont pouvoir télécharger tout ce qu’ils veulent.
Ce qui est génial pour les créateurs, et les artistes, c’est que s’ils travaillent en numérique et qu’ils se constituent un portefeuille numérique, ils pourront le mettre en ligne en permettant à chacun de disposer immédiatement de son produit. Je pense qu’il est inévitable pour les créateurs ainsi que les gens qui veulent leurs œuvres, que ce moment se rapproche et que tout le monde puisse avoir quelque chose de son artiste favori. Si vous découvrez en ligne quelque chose que vous aimez et que vous vous dites, oui, je veux ça, grâce à une imprimante 3D vous pourrez l’obtenir en très peu de temps.
Toutes ces créatures ne vous font-elles pas cauchemarder?
Non, je mets tous mes cauchemars à l’écran.